Résumé :
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La vie a-t-elle émergé de la matière ? Et dans ce cas, comprendre le vivant signifie-t-il le réduire à un ensemble particulier d'interactions physico-chimiques ? Et comprendre l'expérience psychique, est-ce la réduire à l'activité de populations neuronales enchevêtrées ? Le premier visage proposé par la question de l'émergence de la vie est celui de l'affrontement entre les conquérants de la réduction et les défenseurs de la différence qualitative entre le tout et ses parties. Visage polémique, affichant l'arrogance et les prétentions qui dominent l'écologie des pratiques scientifiques. Avec le thème de l'auto-organisation, l'émergence propose aujourd'hui d'autres visages, plus avenants, car ils annoncent un intérêt nouveau, orienté vers l'exploitation des propriétés en vérité très singulières que l'apparition et l'évolution des vivants pourraient avoir requis de la matière. Une approche pacifique de la question de l'émergence est-elle désormais possible ? Ou s'agit-il là d'une opération de pacification, menée à l'encontre de belligérants naïfs par des tiers qui en savent plus ? Les différents visages de l'émergence expriment les différents types de liens qui existent ou pourraient s'inventer entre pratiques scientifiques, entre constructeurs de modèles et praticiens de terrain. Mais les protagonistes de la question de l'émergence, qu'ils entendent la réduire, à la manière des sociobiologistes, ou en célébrer la complexité innovante, ne peuvent s'empêcher de rêver, de spéculer sur la possibilité d'une approche enfin scientifique qui permettrait de nous comprendre nous-mêmes et de comprendre les enjeux de nos histoires. Isabelle Stengers prend ici le risque d'accepter que cette composante spéculative est irrépressible. Mais l'enjeu est alors de reconnaître les situations où la spéculation change de nature, parce que les pratiques scientifiques s'y adressent à ces questions posées par d'autres, et qu'elles obligent à une rencontre avec d'autres pratiques humaines, modernes et non-modernes.
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